Prendre le temps de la découverte du travail de revuiste mais sans doute davantage encore d’éditrice de Nathalie Riera dans ses Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera. Avec la revue DiptYque, je sais, de l’intérieur, combien ce travail est un travail de tissage, dans le temps, de choix personnels, de rencontres et de confiance aussi.
Envie de réagir à temps et aussi contretemps à ce qui s’offre dans ces pages, ce qui me touche, éclectisme de ce qui est publié et éclectisme des sensations activées chez le lecteur. Une revue est à la fois une unité et un morcellement et on peut goûter l’ensemble qu’elle forme comme certaines pages, singulières, petits ensembles qui sont en elles-mêmes des recueils dans le recueil que forme le Carnet.
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Texte de Corinne Le Lepvrier dans les Carnet d’Eucharis #2
Première vraie rencontre, celle de l’écriture de Corinne Le Lepvrier. Sur trois pages, densément, s’échafaude une liste provisoire de ses « dernières découvertes sur sa vie »…. Les listes sont un mode organisé de la pensée, plus qu’une énumération, elles permettent la brièveté et de s’affranchir, en apparence, d’une hiérarchie, de cohérence contrainte, de l’élaboration d’une rhétorique, bref d’éviter les liens de causalités ou les liens de filiation (sauf si des listes s’enchâssent dans d’autres, ce qui n’est pas le cas ici). Aucun lien, en apparence seulement, parce qu’il apparaît rapidement que le Corine Le Lepvrier, en égrenant ces brèves notices sur son enfance, ou sur son « être au monde enfant », ne parle que de cela, du « lien » et plus particulièrement, du « lien de filiation et de parentalité».
En tête de liste et ironisant sur les dire du Prophète de Khalil Gibran, Corinne nous assène la découverte magrittienne :
«/ Nos parents ne sont pas nos parents ».
Notre esprit de lecteur s’emballe : poser la filiation en abîme de la parentalité, c’est comme souligner ce lien qui transparait par toute cette force de l’absence et de la double négation posée en exergue.
Car la liste continue, sur le portrait du père « océanique » flux, mais reflux et roulement de cœur à cœur et de la mère « vent », passante, en surface et floue. Et de cette fille résultante, née « en avance ou pressée entre eux » : fille « mouette belliqueuse » mais « vive, vivante, vivace de mes écartèlements ».
Alors, la liste continue, enchevêtrant les pôles paternels et maternels de cette enfance « désolée ».
La mère, celle de la filiation du lait que «j’exècre », du liquide, du blanc, de tout ce qui noie, qui pose, appose, dépose, la mère « pas là » facilement
Le père : celui de la filiation du sang, du torse, des mots, des pieds : le père des « pas »
« / enfant mes pieds en équilibre drôle sur ses pieds et il marche ainsi et on rigole de mes pas sur ses pas »
Un portrait entrelacé, livré sur le dernier mot de la liste « provisoire ». Car c’est aussi l’amour des mots qui tient l’’enfant devenu adulte, comme une île. Pour ne pas se noyer.
Avec cette préférence, notée :
« / enfant, refaire le chemin à l’envers avec les pas dans les pas pour recommencer dans le sable »
Faire l’expérience d’une liste. Sous ses dehors formels, c’est entrer avec pudeur dans l’intimité qui se livre, s’incante. Une liste comme une intercession : délivrez-moi/exhaussez-moi de mes liens ?