Catherine Barsics, DISPARUE, 2019, L’Arbre à paroles, collection « iF»
« En mars 1998, Suzanne Gloria Lyall, 19 ans, disparaît dans l’état de New York. Je prends connaissance de cette disparition au travers du travail photographique de Virginie Rebetez, publié chez MetaBooks. Ces images me marquent durablement » Catherine Barsics
Premier recueil d’une autrice plutôt issue du monde académique, et qui développe un point de vue impressionniste sur le drame d’une disparition d’enfant. La parole se glisse de narrateur en narrateur, jamais identifiés, évoquant les murmures chorales des anges dans le film de Wim Wenders, « Les ailes du désir ». Des images d’objets appellent des souvenirs de la disparue, suivant une logique chronologique et donnant à découvrir en pointillisme, toute son humanité. Mais ces images sont figées, un peu comme ces photos de classe, où chaque année la disparue souriait, et continue dans la transgression pure de son insoluble absence. On comprend à la lecture qu’on est dans le domaine de la mutité, de l’imprononçable. Disparaître, ce n’est pas mourir, c’est subtiliser le deuil, c’est faire reposer sur ceux qui sont encore là le poids de la recherche, la culpabilité de n’avoir pas vu et de ne toujours rien voir, le questionnement ininterrompu des causes et des raisons.
Le recueil adopte un récit éclaté, poésie aux images souvent très fortes, tissées de fulgurances, qui tressent cette toile de l’absence incompréhensible et impossible à jamais appréhender. La langue est concise, sculptée pour suggérer, parfois perdre le lecteur dans une simple peinture d’impressions psychologiques. Les fragments « documentaires » choisissent d’aller du monde extérieur au monde intérieur, ou son contraire, dans un va-et-vient ininterrompu qui évoque certains procédés cinématographiques.
On ne peut que noter une grande maîtrise du sujet, dont il ne m’a manqué que le partage d’un brin d’implication émotionnelle. Cela tient évidemment au parti pris d’enquête et du projet d’écriture dont l’autrice nous informe sur le site de l’éditeur.
« Je me passionne pour les forums internet consacrés au True crime, pour les nombreux podcasts américains qui traitent de disparitions et d’affaires irrésolues. Ils enrichissent l’aspect documentaire de Disparue. Le fait divers mérite qu’on lui accorde une attention particulière, en tant que témoignage d’un lieu, d’une époque, en tant qu’interrogation sur l’individu et l’identité. Travailler cette matière de façon poétique permet de transmettre, par la structure et la musique du texte, la recherche d’identité perdue, les tâtonnements de l’enquête, la tentative d’approcher au plus juste la vie et les derniers instants connus de la disparue, et enfin de faire percevoir le vide envahissant de l’absence de Suzanne » Catherine Barsics
De page en page, nous voyons ce drame se dérouler, et de temps en temps être rembobiné, comme si on passait et repassait des extraits de films, de reportages, dans le désordre, mais tout empreints d’une distance qui nous tient sur le rebord de cette histoire. Nous ne sommes jamais vraiment dans le corps ni de la disparue, ni de ses proches, ni de ceux qui cherchent. Il s’en dégage une forme de nostalgie douloureuse, d’incommunicabilité irrémédiable.
Appréciée aussi la fin qui résout poétiquement cette absence et ce deuil impossible, avec ce « je » de la voix disparue, enfin prononcé, qui neige sur ceux qui veillent et préfigure cette neige (de poussière, de cendres, de souvenirs) que tous nous deviendrons. Peut-être est-ce là le message : au-delà de tout sens, il ne demeure que la poésie, cette texture de mailles plus où moins lâches, pour construire une intelligence des drames et une rédemption pour ceux qui restent.
Florence Noël
Née en 1983, Catherine Barsics est Docteur en sciences psychologiques. Après trois années passées à Genève, elle vit aujourd’hui à Liège. Ses textes ont paru dans différentes revues et ont été interprétés sur scène, souvent en musique. Parolière pour le trio jazz-folk OakTree sur les albums À Dos d’Âmes (2012) et Well (2014), elle s’oriente également vers la recherche sonore, au sein des projets ARTRA Poetik, Zaï Zaï Zaï et NEIGE.