Le petit livre « Abysse » de Leïla Zerhouni publié en mars dernier chez Bleu d’Encre (collection Denim) attire, par ce lapidaire titre de chute et de creux tombant dans les gueules siamoises de deux loups hurlant de concert. Ces quelques pages de proses évocatrices, photos de mots aux titres symboliques (insouciance; sablier; blanche, noire et silence; fiesta et tobogan; rosée du soleil*; la bête; le Cri; Mariemont), se relient les unes aux autres pour former l’album-récit d’une amitié entre deux adolescentes puis très jeunes femmes.
La Louvière la hennuyère, son histoire belgo-italienne, sa bonhommie et ses damnations, en forme le décor : le parc de Mariemont, le lycée, les maisons, les quartiers, les terrils, les corons. L’insouciance et le délice des passions partagées entre musique, films, Virginia Woolf et Achille Chavée. Et en contrepoint de ce récit retraçant les indices d’une glissade aux abysses, des ritournelles rimées presque légères.
Chaque chapitre s’ouvre sur un vers ou un aphorisme d’Achille Chavée, posant là un point de vue décalé et critique sur le récit qui s’égrène. Tout ne sera pas dit, mais tout sera compris. La vie déploiera ses douceurs jusque dans les derniers vers.
Leïla Zerhouni déploie une science du récit et de l’élision qui conquière vers la toute fin, quand les mots et les silences se sont tous déposés et qu’il ne reste qu’à relier le fil du dit et du non-dit, de l’impuissance à l’aune de l’insouciance.
Découvrir Abysses, de Leïla Zerhouni, Bleu d’Encre, Dinant, 2021