Florence NOËL

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Colette Nys-Mazure, Une poésie centrifuge

In Recension, Recueils poésie on novembre 8, 2023 at 4:23

Colette Nys-Mazure, À main levée, poésies, Éditions Ad Solem, 2022

Second recueil de Colette Nys-Mazure à se voir publié en 2022, A main levée est une suite en neuf mouvements d’une observatrice du temps présent. C’est d’ailleurs aux éditions Ad Solem, ouvertes aux dimensions spirituelles de l’écriture poétique, que la poétesse a confié ces notations sous forme tantôt de vers libres tantôt de courtes proses qu’on peut lire comme de véritables signes des temps.
« L’urgence / talonne le troupeau et le précipite / vers un horizon de menaces / et d’espoir »

L’autrice choisit comme tonalité l’adresse introspective en « tu » où elle se livre pudiquement tout en nous invitant à partager ce qu’il y a d’universel dans ses impressions.

Une première partie, Qu’elle vive !,  nous immerge d’emblée dans les affres des « sorciers de la poésie » qui se vouent à la « joie prodigieuse » de manifester des paroles empreintes de justesse, de la « langue essentielle », de la « patrie première » qu’est le poème : « ils redoutent l’assèchement autant que l’excès » car ils procèdent à la fois de l’humus et de la « secrète source ». Il y a une hauteur au poème, il faut s’y hisser, par un chemin initiatique d’écrivante, où le tu « pressens », « renonces », « guettes », « vois enfin », « chancelles », « bredouilles », pour que s’affranchisse l’autrice tout à la fois désarmée, ingénue, abasourdie, partagée entre ferveur et peur de l’enjeu. Car, parfois « Les dialogues s’abîment ». Parfois, oui, survient « un besoin irrépressible / de filer au désert / lèvres cousues ».

Hélée par tant d’indignations et de ravissements que nous offre le monde au quotidien, Colette Nys-Mazure s’attable pour écrire, dans une intimité de travail qu’elle nous dépeint, ne se délestant pourtant jamais de l’ultime doute sur les mots couchés sur le papier : « Vous rejoindront-ils ? ».

Plus loin dans le mouvement A main levée, le parallèle est clairement établi avec les maçons et charpentier sur le chantier voisin. « Une vie en poésie », c’est bâtir par les mots, ni plus, ni moins. C’est « un même travail ardu, insistant, risqué » mais dont la plénitude promise rend les « périls consentis ».

Colette Nys-Mazure nous professe avec force ce qu’est pour elle l’enjeu essentiel de la poésie pour le monde. Une forme d’apostolat qui doit témoigner de ce qui l’entoure, cet impalpable humanité dont l’amour l’occupe toute. D’une lumière sur un arbre, elle constatera dans le magnifique texte Fenêtre sur ciel : « Ainsi les êtres ternes qu’un regard d’amour transfigure ».

Ses proses croquent de courtes scènes où racisme, humiliations infimes, pauvreté, abattage d’arbres, mari émerveillé par la glycine en pleine floraison, passants et impatients font vibrer sa tête « d’autres vies que la » sienne. Ainsi en est-il aussi de ce mouvement Transport en commun où se succèdent les portraits de compagnes et compagnons d’infortunes, qui quittent les rails du quotidien dans un « univers clos lancé à toute allure. ».

Collectionneuse de beautés, elle se charge de la mission invisible de transposer celles-ci dans les mots, et de confier ces mots au papier, taraudée par l’idée de « ne rien perdre des menus émerveillements / bagage / tantôt pesant souvent allègre ». La rédemption de la poète est-elle justement dans ces faix ? Là où « L’errance prendrait fin / le malheur s’esquiverait par une porte dérobée ».

Car si la roue des mots et des jours est multiple, si les mouvements sont à des rythmes propres qui chacun nous renvoient du dehors au-dedans, par sa poésie centrifuge, il n’en reste pas moins que Colette Nys-Mazure nous invite à la rejoindre, à regarder à ses côtés, à aimer de sa menue manière, à contempler pour témoigner. Alors, se convainc-t-elle (et nous à sa suite ?) « Alors, tu peux survivre, exister même. Tu es une personne ».


Florence Noël

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